Les enjeux logistiques, économiques et sécuritaires du port sec de Ferkessédougou

 En Afrique de l’ouest, les activités maritimes et portuaires s’exercent dans un environnement  fortement concurrentiel. Les ports se livrent une bataille acharnée pour le contrôle du trafic de  transit des pays enclavés (Mali, Burkina Faso, Niger). 

Dans cette concurrence, la qualité des  infrastructures portuaires, routières et ferroviaires, le coût du passage portuaire et la fluidité  du trafic, sont considérés comme d’importants critères de compétitivité. Pour répondre  efficacement à ce challenge, se (re) positionner et fidéliser les opérateurs des pays de  l’hinterland, des actions visant à décongestionner le port d’Abidjan et à le rapprocher de son hinterland international, ont été décidées au plus haut niveau de l’appareil d’Etat. La politique  adoptée par l’État de Côte d’Ivoire repose sur la construction de port sec dans la ville de  Ferkessédougou.  

Le port sec de Ferkessédougou est considéré comme le prolongement du port d’Abidjan. Il vise à impacter le trafic de transit, dans un contexte de concurrence ardue avec les autres ports  de la sous-région. Il se situe en un lieu stratégique, à mi-parcours des villes de Bouaké plus au  centre de la Côte d’Ivoire avec son marché de gros, une infrastructure à vocation sous  régionale, de Sikasso (Mali) et de Bobo-Dioulasso (Burkina Faso). Les distances entre le port  sec de Ferkessédougou et les principales villes se trouvant dans sa sphère d’influence sont  consignées dans le tableau ci-dessous. 

Tableau : Distances entre le port sec de Ferkessédougou et les principales villes sous sa  sphère d’influence 

Distance pôles  D’attraction en KmCôte d’Ivoire Burkina Faso Mali
Bouaké Bobo-Dioulasso Sikasso
Port sec de Ferkessédougou 250 230 236
Port d’Abidjan 342 798 805

Source : Google Maps 

Les objectifs assignés au port sec de Ferkessédougou, dont la première pierre fut posée par les  autorités ivoiriennes le 25 mai 2021 à Dékokaha, une localité située à 5 km de  Ferkessédougou, sont multiples. Il s’agit d’abord pour les autorités ivoiriennes de rapprocher  davantage les services du port d’Abidjan des opérateurs économiques nationaux mais surtout  de ceux des pays de l’hinterland. Ensuite, le port sec de Ferkessédougou devra assurer une  véritable mission d’outil d’intégration sous régionale par l’interception d’un important  volume de marchandises en transit de ces pays.

Il s’agit également d’améliorer le réseau logistique ivoirien, de construire et d’exploiter les  infrastructures du port sec de Ferkessédougou afin de désengorger le port d’Abidjan et de le  rapprocher de ses partenaires régionaux que sont le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Aussi,  la présence du port sec va permettre de renforcer la compétitivité des économies des pays de  l’hinterland, de développer les échanges intra-africains, d’assurer la montée en gamme du  commerce sur le continent en rendant les économies moins dépendantes de l’extérieur et  dynamiser et consolider les acquis du transport ferroviaire à destination des pays de  l’hinterland

Les aménagements projetés vont également permettre de valoriser les potentialités  économiques dont regorgent le nord ivoirien. Dans ce contexte, les autorités ivoiriennes au  plus haut niveau, se sont impliquées pour que ce projet de port sec soit une réalité. Débutés en  2021, les travaux de construction de cette infrastructure stratégique sont en cours. Le port sec  de Ferkessédougou suscite beaucoup d’espoir au sein des populations du nord de la Côte  d’Ivoire. Les différentes articulations de ce projet de port sec, à savoir une plateforme  multimodale, un dépôt d’hydrocarbures, un marché à bétail, l’abattoir, la zone d’habitat, l’administration du port et des services et la zone économique industrielle du port sec, visent  entre autres à apporter des solutions aux problèmes récurrents du chômage des jeunes et des  femmes. Selon le planificateur ivoirien, la mise en service du port sec va favoriser la création  de plus de 71 000 emplois directs et indirects à l’endroit des jeunes et des femmes du nord ivoirien. Le port sec de Ferkessédougou s’annonce sous de bons auspices certes, mais des  réalités toutes aussi pertinentes invitent à s’inscrire dans la logique de la réflexion autour de  ce projet. 

Ces réalités s’articulent principalement autour des questions sécuritaires dans la  zone nord de la Côte d’Ivoire et de l’écosystème logistique dans lequel le port sec est appelé à  s’intégrer. Le contexte sécuritaire dans lequel s’inscrivent le port sec de Ferkessédougou constitue un facteur à regarder de près dans la mise en œuvre dudit projet. Le port sec projeté à Ferkessédougou se localise dans une zone nord proche des frontières malienne et burkinabè,  qui se particularise par une montée des actes terroristes qui mettent en mal la sécurité des  populations et des biens. 

Les attaques des localités de Kafolo, Tougbo, Togolokaye et de  Kolobougou, entre juin 2020 et juin 2021, sont une preuve que le nord de la Côte d’Ivoire est  vulnérable au terrorisme. Cette situation représente une menace au développement du port sec  de Ferkessédougou, d’autant plus que cette plateforme logistique peut être une cible  privilégiée pour les terroristes. 

L’écosystème logistique regroupe un ensemble d’entités susceptibles de contribuer à  l’épanouissement de l’activité de transport et de logistique dans un territoire donné. Il prend  ainsi en compte les entreprises chevronnées dans le domaine de la logistique, mais pas  seulement. Les infrastructures de transport (routes, chemins de fer, aéroports, ports…) y jouent  un rôle crucial, en tant que plateformes de transbordement, points de passage privilégiés pour  les marchandises et les personnes. En tenant compte de ce qui précède, le nord de la Côte  d’Ivoire où est prévue la construction des ports secs, connaît une carence en termes  d’infrastructures logistiques. 

On compte, en dehors des principaux axes routiers bitumés et du  chemin de fer reliant la Côte d’Ivoire au Burkina Faso et passant par Ferkessédougou, deux  aéroports de classe nationale (Odienné et Korhogo) et un aérodrome à Ferkessédougou. Face aux insuffisances logistiques, il apparaît judicieux pour les autorités ivoiriennes de mettre à la  disposition du port sec de Ferkessédougou un réseau de transport fiable, interconnecté au port  d’Abidjan tout en renforçant la sécurité dans le nord de la Cote d’Ivoire.  

Dr Atsé Willy OGOU  

Géographe maritimiste  

Consultant maritime et portuaire  

ogouatse14@gmail.com

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *