Un migrant ivoirien alerte : les passeurs sont tous malhonnêtes

Kamel est Ivoirien. En 2023, il quitte son pays pour se rendre au Maroc puis en Tunisie dans l’espoir de rejoindre l’Europe. Durant son parcours migratoire, le jeune homme a dû faire appel à plusieurs passeurs pour passer les frontières et traverser le désert. « Une expérience désastreuse », explique-t-il rappelant qu’il ne « faut jamais faire confiance » aux trafiquants. Témoignage.
Après avoir pris un vol entre la Côte d’Ivoire et le Maroc en 2023 – vol qui nécessite désormais un visa depuis le 1er septembre 2024 -, Kamel* s’est rendu à Oujda, la ville la plus proche de la frontière algérienne, dans le but de passer illégalement dans le pays voisin. Il a fait appel à un passeur.
« On était en 2023, j’ai appelé un passeur, il était Guinéen mais il travaillait avec une filière marocaine. Il m’a demandé 2 000 dirhams marocains, environ 200 euros, pour traverser le poste-frontière. J’ai payé évidemment, j’avais confiance en lui.
Le soir du passage, nous étions nombreux. Il y avait 200 ou 300 personnes. Il faisait nuit noire. Le passeur était là, il nous a rassurés, il nous a dit qu’il resterait avec nous jusqu’à notre arrivée en Algérie de l’autre côté.
Et en fait, il a disparu au bout de quelques temps. Il s’est mêlé à la foule et puis d’un coup, il a disparu, je pense que quelqu’un l’attendait non loin de là.
Il a évidemment disparu avec tout notre argent.
« Des Algériens nous ont vus et nous ont renvoyés au Maroc »
On a été obligés de se débrouiller tout seuls. Mais on était un peu perdus, on ne savait pas trop où aller, alors on a marché tout droit. Évidemment, ça n’a pas fonctionné comme prévu. Les gardes-frontières marocains nous ont vus, et ils nous ont arrêtés.
Ce fut la première déception. Pour moi, les passeurs étaient fiables. Je ne savais pas qu’ils pouvaient arnaquer les gens.
Quand les militaires marocains nous ont arrêtés, ils ont été plutôt gentils. Ils nous ont dit qu’ils pouvaient nous faire passer la frontière mais qu’il fallait « travailler » pour eux avant. Pendant 24h, on a donc lavé différents postes-frontières de la région, des sortes de commissariats. On a nettoyé les bureaux, les toilettes, on faisait leur vaisselle, et plein de corvées de ce genre.
Vers 1h du matin, le lendemain, ils ont tenu parole, ils ont ouvert les barrières de la frontière. Mais les Algériens n’étaient pas vraiment loin, ils étaient juste plus haut sur une colline. Ils nous ont très vite repérés avec leurs énormes lampes-torches qu’ils braquaient sur nous.
Ils nous ont arrêtés et ils nous ont battus. Ils ont pris nos portables. Puis ils nous ont renvoyés au Maroc. Seulement, les Marocains avaient changé de comportement. Ils ne voulaient plus de nous. Ils nous ont dit : « Pourquoi vous revenez ? Repassez en Algérie ! Si on vous voit encore, on vous tue ! »
J’étais désespéré. Finalement un groupe de migrants soudanais nous a aidés. Ils connaissaient un autre chemin. Ils n’ont rien demandé, pas d’argent, pas de service. Ils voulaient juste nous aider. On a réussi à passer en Algérie avec eux.
« Des pick-up avec des chauffeurs algériens sont venus nous chercher »
Kamel traverse le pays dans le but de se rendre en Tunisie. Mais là encore rien ne se passe comme prévu.
Un mois après avoir traversé la frontière marocaine, je suis arrivé à Tébessa, en Algérie [une ville frontalière de la Tunisie].
Là encore, on a dû faire appel à des passeurs pour passer en Tunisie. Sans eux, c’est trop dur de passer la frontière. C’est la montagne, le désert, on peut facilement se perdre.
Je n’avais plus confiance mais je n’avais pas le choix. On a de nouveau eu des passeurs guinéens. Ils nous ont mis en confiance et nous ont demandé 150 euros.
La nuit suivante, des pickups avec des chauffeurs algériens sont venus. On était entassé à l’arrière. On a roulé des heures, puis on a changé de pick-up. On est passé avec des chauffeurs tunisiens.
Mais là encore, les passeurs nous ont menti.
Ils ne nous ont pas accompagnés à Kasserine, comme prévu, mais ils nous ont abandonnés au milieu de nulle part. Ils nous ont dit de partir. On a dû marcher deux jours pour rejoindre Kasserine, On a pu y arriver grâce à un téléphone GPS. La journée, on se cachait dans le désert, la nuit on marchait.
« À Kasserine, on a dû encore payer 250 euros à un nouveau passeur »
Les passeurs vous diront toujours qu’ils restent mais c’est faux. Ils prennent votre argent et ils s’en vont toujours à un moment ou à un autre.
Arrivés à Kasserine, Kamel veut désormais se rendre à Sfax. Le trajet nécessite encore une fois l’aide d’un passeur.
À Kasserine, on a dû encore payer 250 euros à un nouveau passeur. On n’avait pas le choix, tu peux pas rester à Kasserine. C’est trop dangereux. Si tu es arrêté, tu peux aller en prison ou être renvoyé en Algérie.
Alors on a tous payé.
Les passeurs nous ont bien emmenés à Sfax, comme prévu, mais ils ne nous ont pas laissés partir. Des « taxis » sont venus nous récupérer dans la ville puis nous ont kidnappés dans la foulée. On a été emmenés dans un « foyer », où il y avait beaucoup de passeurs. Ces foyers c’est comme des prisons, on n’est pas libre de nos mouvements. Personne ne sort.
On était 50 personnes, 60 personnes dans notre foyer. Les passeurs étaient armés. Ils n’étaient pas tous tunisiens, il y avait des Ivoiriens, des Guinéens parmi eux.
Normalement, ils te « gardent » jusqu’à ce que tu payes pour traverser la mer. Moi, j’ai dit que je voulais rester à Sfax, que je ne voulais pas aller en Italie. Mais peu importe. Il fallait payer 500 euros pour sortir du foyer. J’ai dit que je n’avais que 400. J’ai payé et je suis sorti.
Personne ne nous avait dit qu’il faudrait repayer. C’est toujours comme ca avec les passeurs. Il y a des ramifications, d’autres passeurs qui vous demandent toujours plus d’argent. Les passeurs, ils sont tous pareils, tous malhonnêtes.
Si je devais donner un conseil à un candidat au départ illégal : je lui dirais de tout arrêter. De tenter d’obtenir un visa, de partir par avion. »
Depuis la Tunisie, Kamel rentrera finalement en Côte d’Ivoire en demandant un retour volontaire via l’Organisation internationale des migrations (OIM)