Sahel : le Polisario, nouvelle base arrière du terrorisme ?

Le masque du Front Polisario est tombé. Ce qui fut jadis présenté comme un mouvement de « libération à visée nationaliste » s’est progressivement mué en une entité opaque, dont les connexions avec des réseaux terroristes internationaux ne sont plus du domaine du soupçon, mais désormais étayées par des preuves concrètes. Une récente enquête explosive émanant du Center for the National Interest, think tank influent à Washington, vient entériner ce basculement. Ce que le Maroc dénonçait, seul contre tous, depuis des décennies, trouve aujourd’hui une résonance glaçante dans les cercles stratégiques occidentaux.
Aujourd’hui, le constat s’impose : le Polisario ne peut plus être vu comme un simple mouvement séparatiste. Il s’est arrimé à une logique de déstabilisation transrégionale, agissant comme courroie de transmission, logistique, idéologique et parfois opérationnelle, pour des groupes armés qui prolifèrent dans le corridor sahélo-saharien. Ce mouvement se révèle désormais comme un maillon actif dans la mécanique du terrorisme global, une pièce insérée dans l’architecture tentaculaire de l’extrémisme violent. À ce stade, persister à considérer le Polisario comme un acteur politique légitime équivaut à cautionner une menace insidieuse pour la sécurité collective. L’ambiguïté n’est plus une posture diplomatique, mais une complicité tacite.
Le rapport du Center for the National Interest, dont la rigueur et le poids stratégique sont reconnus dans les cercles diplomatiques, ne s’inscrit pas dans une logique conjoncturelle d’alerte. Il marque un tournant analytique. Fondé en 1994 sous l’impulsion de l’ancien président Richard Nixon, cette institution s’est imposée par la rigueur de ses analyses réalistes. Sa revue, The National Interest, est devenue une référence pour décrypter les rapports de force mondiaux, en particulier au Moyen-Orient, en Afrique et dans les zones de friction entre puissances. Les conclusions de ce rapport dépassent le cadre d’un simple différend hérité des convulsions postcoloniales. Elles reconfigurent les lignes du dossier saharien, désormais perçu non plus comme une question territoriale figée, mais comme une faille géopolitique ouverte, susceptible de nourrir les flux terroristes à l’échelle régionale et internationale.
De l’idéologie à l’infiltration jihadiste : Une dérive programmée
Créé dans les années 1970, au cœur des tensions de la guerre froide, le Front Polisario s’inscrivait initialement dans un discours anticolonial teinté de marxisme. Soutenu militairement par Cuba, idéologiquement par la Libye de Kadhafi et structurellement par l’appareil soviétique, il s’affichait comme un mouvement de « libération » dans la lignée des révolutions du tiers-monde. Mais cette façade idéologique s’est effondrée laissant place à une entité sans boussole, arrimée à des alliances troubles et à une logique radicale bien éloignée de ses prétentions initiales. Désormais, le Polisario évolue au sein d’un maillage d’influences où convergent les intérêts stratégiques du Hezbollah libanais, des Gardiens de la Révolution iranienne, du Hamas palestinien, et de diverses factions jihadistes actives dans le Sahel.
Ce basculement idéologique n’a rien de théorique : il est attesté par des éléments tangibles, dont les révélations récentes du quotidien allemand Die Welt constituent l’un des témoignages les plus accablants. Selon ces investigations, des écoutes téléphoniques mettent en cause Mustafa Muhammad Lemine Al-Kitab, représentant du Polisario en Syrie. Ses propos, sans ambiguïté, trahissent une adhésion assumée à l’« axe de la résistance » piloté par Téhéran. Il y exprime ouvertement son soutien à l’attaque du Hamas contre Israël, perpétrée le 7 octobre 2023, et mentionne un projet de « front unifié » embrassant Gaza, le Golan, le sud du Liban et … le Sahara « occidental ». Dans cet échange, il va jusqu’à évoquer des frappes ciblées, notamment au Maroc, appelant à l’assistance directe de l’Iran, qu’il présente comme indispensable en raison des capacités militaires limitées du Polisario.
Cette compromission idéologique et opérationnelle est alarmante. Elle consacre une rupture définitive avec les origines prétendument « laïques et progressistes » du Polisario. L’organisation apparaît aujourd’hui comme une pièce active dans un échiquier régional dominé par des forces radicales prête à servir de relais ou de base arrière à des réseaux jihadistes. Cette dynamique inquiétante illustre un glissement stratégique vers un « arc de la résistance radicale », selon l’expression utilisée par plusieurs analystes, une architecture idéologico-militaire reliant l’Iran, le Hezbollah, le Hamas, et divers groupes armés opérant dans la région sahélo-saharienne. Le Polisario, dans cette logique, cesse d’être un acteur périphérique : il devient une variable stratégique dans un affrontement géopolitique plus vaste, où les lignes de front traversent désormais le Maghreb.
Loin d’une dérive ponctuelle, cette convergence entre séparatisme et extrémisme religieux répond à un plan mûrement réfléchi. L’Iran y joue un rôle central. Pour Téhéran, le Sahara « occidental » représente une opportunité géostratégique : un point d’ancrage sud-méditerranéen depuis lequel exporter son influence, fragiliser les équilibres régionaux, et affaiblir les États qui s’opposent à son expansion.
Les camps de Tindouf, matrice saharienne de l’extrémisme armé
C’est au cœur des camps de Tindouf, en territoire algérien, que la mue radicale du Front Polisario a pris racine. Livrés à une administration unilatérale et opaque, hermétique à toute surveillance internationale crédible, ces camps sont devenus, en l’espace de quelques années, de véritables zones de non-droit. Ce vide juridique et sécuritaire a offert un terreau idéal à l’émergence de cellules jihadistes, certaines affiliées à Daech ou à al-Qaïda, qui y prospèrent dans une impunité quasi totale, au cœur d’une région sahélienne déjà ébranlée par la fragmentation étatique.
Depuis 2008, des groupes tels que Fath al-Andalus ou Khilafah – ce dernier ayant prêté allégeance à l’État islamique – y ont trouvé refuge et ressources, profitant de l’isolement et de la vulnérabilité des populations pour recruter, former et endoctriner, loin des radars internationaux. Tindouf est ainsi devenu bien plus qu’un espace de relégation : il est désormais un incubateur opérationnel pour les réseaux terroristes transsahéliens. À cette dynamique criminelle s’ajoute une dérive d’une gravité particulière : l’instrumentalisation d’enfants soldats. À plusieurs reprises, des ONG ont porté ces accusations devant le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, dénonçant une pratique systémique qui transforme l’enfance en chair à canon, dans un silence international aussi assourdissant qu’injustifiable.
L’histoire d’Adnan Abou al-Walid al-Sahraoui, passé du rang de cadre du Polisario à celui d’émir de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), n’est pas une aberration. Elle incarne au contraire la trajectoire symptomatique de nombreux éléments issus du mouvement, recyclés dans l’engrenage du terrorisme régional. Plus récemment encore, des indices préoccupants ont confirmé l’escalade : l’apparition de drones kamikazes, fournis par l’Iran, dans les zones d’action du Polisario marque une rupture. Longtemps associés aux milices pro-iraniennes comme le Hezbollah ou les Houthis, ces dispositifs témoignent d’un saut qualitatif dans l’arsenal du mouvement, et surtout d’une coordination technico-militaire bien plus avancée qu’on ne le pensait.
Derrière cette radicalisation rampante se dessine une architecture stratégique inquiétante. L’Algérie, soutien historique du Polisario, lui offre toujours couverture diplomatique et logistique. L’Iran, pour sa part, en lien avec le Hezbollah, lui offre un soutien idéologique, financier et technologique en progression continue. Dès 2022, le Maroc avait sonné l’alarme par la voix du ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, qui dénonçait déjà des transferts d’armement, notamment de drones, visant à « saper la stabilité régionale ».
Une lecture renouvelée du conflit
Face à cette réalité, le vent diplomatique tourne. Après les États-Unis, l’Espagne et la France, c’est au tour de Londres d’acter, sans détour, la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Même la Syrie, longtemps ancrée dans une posture anti-occidentale, et proche des sphères d’influence iraniennes, a fini par expulser le Polisario de son territoire. Ce réalignement reflète une prise de conscience claire et traduit une reconfiguration profonde des perceptions stratégiques. Le Royaume incarne aujourd’hui un pôle de stabilité dans une région minée par les turbulences géopolitiques.
À l’inverse, le Polisario s’enfonce dans une spirale de radicalisation, désormais adossée à un axe Algérie–Iran, dont les ambitions régionales ne se cachent plus. Aux yeux des chancelleries, l’idée même d’un « État sahraoui » livré à une organisation gangrenée par les réseaux jihadistes, complice de trafics et d’endoctrinement, apparaît non seulement irréaliste, mais dangereusement suicidaire. Ce projet ne menacerait pas uniquement le Maghreb : il ouvrirait une brèche vers l’Afrique de l’Ouest, et jusque sur les rives méridionales de l’Europe, en y amplifiant l’instabilité, les flux migratoires incontrôlés et les dérives sécuritaires.
Il ne s’agit plus d’un contentieux territorial hérité des décolonisations, mais d’un nœud stratégique dans la lutte contre le chaos régional. L’alternative n’a jamais été aussi claire : d’un côté, un Royaume réformateur, impliqué dans la coopération transsaharienne, pilier de la lutte contre le terrorisme ; de l’autre, un mouvement instrumentalisé par des puissances disruptives, vecteur d’idéologies mortifères. Le temps des postures neutres et des rhétoriques équilibristes est révolu. Persister à traiter le Polisario comme un acteur politique légitime revient à fermer les yeux sur une entité qui recrute des enfants soldats, collabore avec des groupes extrémistes et adopte des méthodes incompatibles avec l’éthique du droit international et les exigences minimales de la paix.
La communauté internationale ne peut plus rester engluée dans l’ambiguïté. Le Polisario n’est pas un interlocuteur. C’est un catalyseur d’instabilité. Il est temps de nommer les choses. Ce groupe doit être désigné pour ce qu’il est devenu : une organisation à dérive terroriste. Dans ce contexte, soutenir la souveraineté du Maroc sur le Sahara n’est pas un simple alignement diplomatique convenu : c’est un engagement stratégique en faveur de la sécurité, de la stabilité et du respect de l’ordre régional.