Mi-novembre, les rebelles du M23, un groupe armé dans l’est de la RDC, se battent contre l’armée congolaise à quelques kilomètres de Goma, la capitale provinciale où habite Rodrigues, un jeune Congolais de 20 ans. Par peur des combats, il décide de prendre la fuite jusqu’à Mayotte, en France, où il va déposer sa demande d’asile.
Romain Philips, envoyé spécial à Mayotte
Depuis qu’il est arrivé à Mayotte à la mi-avril 2023, Rodrigues et sa femme dorment sur des matelas en mousse posés sur un trottoir devant le bâtiment de Solidarité Mayotte, l’association chargée des demandeurs d’asile sur l’île. Ils sont des dizaines dans le même cas, à vivre dans une extrême précarité.
Regardez la misère dans laquelle on se trouve. On meurt tous de faim, tous. On patiente devant ce bâtiment, y avoir accès c’est mission impossible, y avoir un rendez-vous, c’est encore plus dur. Je suis à Mayotte depuis plusieurs semaines et je n’ai pu rentrer qu’une seule fois.
Avec ma femme, on dort tous les jours devant mais je crois que même rester là, ça ne marche pas. On passe toute la journée ici pour voir s’ils peuvent nous voir plus vite mais je crois qu’ils ne nous voient même plus.
Il a plu toute la journée presque, donc on ne sait même pas où on va dormir ce soir. Toutes nos affaires sont inutilisables. C’est grave ici, on ne peut même pas faire une petite toilette, se laver. Tout est difficile. Ce qu’on est en train de fuir, c’est ce qu’on est en train de retrouver ici finalement. Je n’en peux plus. On m’a dit que je trouverais la paix ici. Mais je ne trouve rien, même pas à manger.
A Mayotte, par rapport au reste de la France, le droit d’asile est particulièrement sévère. Les procédures sont accélérées, Rodrigues a d’ailleurs déjà dépassé les délais pour rendre son dossier à l’Ofpra. Et il n’a pas le droit à une aide de l’Etat, uniquement à un euro par jour sous forme de bons alimentaires. En ce qui concerne les logements, il n’y a que 105 places dans le centre d’accueil, un nombre insuffisant pour accueillir tous les arrivants.
En 2022, 4 020 demandes d’asile ont été déposées à Mayotte, selon l’agence. Une hausse de 8% par rapport à l’année précédente. Et 86% des demandes d’asile déposées à Mayotte ont été rejetées. « Le taux de protection était de 14,3% », précise l’Ofpra à InfoMigrants.
J’ai quitté la RDC le 15 novembre 2022 parce que mon pays ne connaît pas la paix. Et en plus, j’ai reçu des menaces de mort. Je n’ai pas pu supporter tout ça. J’habitais à l’est du pays, à Goma. Il y a beaucoup de combats là-bas car il y a beaucoup de groupes armés. Il y a les Maï-Maï mais il y a surtout le M23. Ce sont eux qui veulent prendre la démocratie.
Rodrigues et sa femme ont quitté Goma dans la panique et la précipitation. C’est avec beaucoup d’émotions qu’il raconte son parcours qui l’a mené jusqu’aux Comores, où il a embarqué dans un kwassa kwassa, ces navires de pêche utilisés par les migrants pour traverser les 70 km qui séparent l’ile d’Anjouan de Mayotte. Presque tous les jours, ces embarcations déposent 20 à 30 migrants sur les plages mahoraises.
Quand je suis parti de Goma, c’était vraiment critique. Aujourd’hui, je ne sais pas où en est la situation parce que je n’ai pas continué à suivre ce que j’ai laissé derrière moi. Y repenser, c’est dur. Et pour moi particulièrement, c’était atroce. Il y avait des gens qui me cherchaient. Ils avaient incendié ma maison. Il y avait beaucoup de flammes. Toute la maison était par terre. Tout ça à cause d’une histoire de terres, d’héritage.
« Est-ce qu’ils sont vivants d’ailleurs ? »
Je n’ai même pas pu partir avec mes trois enfants. Ils sont toujours en RDC, je crois. On a chacun pris des chemins différents dans la précipitation. Avec ma femme, on était ensemble au moment de la fuite. Les enfants n’étaient pas à la maison quand le feu a commencé, donc on a fui sans eux. On ne sait pas où ils sont. Aujourd’hui, on n’a pas de contact. Est-ce qu’ils sont vivants d’ailleurs ?
Pour venir jusqu’à Mayotte, on s’est camouflé, on a avancé clandestinement. Mais on n’a rien préparé. Personne n’est préparé à quitter sa vie, car ce n’est jamais quelque chose qu’on décide, c’est quelque chose qu’on subit. La guerre, quand ça commence, ça ne prévient pas. Le départ a donc été précipité. On n’a pas pu faire nos affaires, choisir ce qu’on voulait prendre, aujourd’hui, donc, je n’ai plus rien. Plus rien.
Depuis la RDC, il y a beaucoup de trajets qu’on a fait à pied. Parfois, on nous a payé des taxis, on nous a pris en stop. Je ne sais même pas par quels endroits je suis passé car on se déplaçait uniquement la nuit, jusqu’à l’arrivée en Tanzanie un jour. C’est là que l’on m’a dit : “Ici tu peux partir loin, où tu veux’.
« Vous voulez qu’il meurt alors qu’il est en train de fuir la mort ? »
Tant qu’il n’a pas reçu la réponse officielle de l’Ofpra, Rodrigues ne peut pas être expulsé du territoire français. Lui ne veut pas croire que son dossier puisse être refusé et qu’il puisse être renvoyé en RDC.
Je ne sais pas si je vais être expulsé. Je n’ai rien comme papiers, c’est vrai. Ca pourrait m’arriver… Je ne veux pas y penser.
En fait, je n’y crois pas… Comment pouvez-vous renvoyer quelqu’un qui fuit la guerre et le remettre là où il y a la guerre ? Vous voulez qu’il meurt alors qu’il est en train de fuir la mort ? Nous, on veut juste vivre dans un endroit où il y a la vie, la paix, de l’ordre. Là où les gens se comprennent. Là où il y a le sens de l’humanité.
Avec NDC