Sénégal : après le naufrage de Mbour, la peur de voir un proche prendre la mer

Après le naufrage au large de Mbour, au sud de Dakar, qui a causé la mort de 39 personnes et la disparition de dizaines d’autres dimanche, la ville est sous le choc. Dans cette ville côtière, nombreuses sont les familles touchées par l’immigration irrégulière. Témoignage de l’un des habitants, Baba Diop, 68 ans, dont la nièce a perdu deux de ses fils.

« L’atmosphère est lourde à Mbour, c’est morose. Tout le monde est triste, tout Mbour est triste, même moi je suis triste ! Imaginez : du jour au lendemain, vous apprenez que votre enfant, votre frère, votre cousin, votre neveu a disparu. C’est très violent.

Ma nièce a perdu deux de ses fils dans le naufrage de dimanche. Ils avaient 19 et 20 ans. Ils ont disparu en mer. Leurs parents ne savaient pas qu’ils allaient tenter la traversée. L’annonce de leur disparition a été un choc. Ils sont dévastés.

Dimanche 8 septembre, une pirogue surchargée d’une centaine de personnes a chaviré peu de temps après son départ de Mbour, au sud de Dakar. Une vingtaine de migrants ont pu être secourus. Mais les autorités ont récupéré 39 corps et on compte des dizaines de disparus.

« Ici, la migration est partout »

À Mbour, de nombreuses familles sont touchées par l’immigration irrégulière. Dans certaines d’entre elles, trois ou quatre personnes du même foyer sont parties pour l’Europe. Les habitants sont crispés ces derniers jours. Tout le monde a peur qu’un proche prenne la mer.

Ici, la migration est partout. Dans la rue, des coaxeurs [intermédiaires avec les passeurs, ndlr] racolent les jeunes. Ils les interpellent en les incitant à partir, et en les informant du prochain départ.

Sur les plages, des personnes construisent en permanence des énormes pirogues, de 150 mètres de long. Ça ne s’arrête jamais. On sait très bien que ces bateaux ne sont pas destinés à la pêche. Les pirogues des pêcheurs sont beaucoup plus petites.

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🇸🇳 Au Sénégal, on a rencontré Macodou, un pêcheur reconverti en vendeur de pirogues, qui nous a expliqué comment s’organise une traversée vers les Canaries à bord de ces embarcations. Pour ce long voyage très dangereux, environ 300 personnes peuvent prendre place à bord de cette pirogue. Journaliste : Charlotte Oberti #senegaltiktok #canaries #pirogues #apprendresurtiktok

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Et tout cela est fait à la vue de tous, mais personne n’agit pour empêcher ce business.

Moi, j’ai cinq enfants âgés de 27 à 35 ans. Je les surveille. Je ne veux pas qu’ils prennent la mer. Je leur parle beaucoup, je leur explique les dangers d’un tel voyage, je les dissuade de tenter la traversée. On peut construire une vie au Sénégal. Il faut juste y croire.

« Ceux qui ont réussi encouragent les autres à partir »

Mais le problème vient aussi de ceux qui ont réussi à atteindre les Canaries. Car ils encouragent leurs amis restés au pays de partir. Ils leur disent que leur vie est mieux. Ils envoient des photos d’eux à la plage, au restaurant…

Alors qu’on sait très bien qu’ils vivent dans des conditions misérables aux Canaries. Ils sont entassés dans des camps. Ils galèrent.

Depuis le début de l’année plus de 25 500 exilés africains ont débarqué aux dans l’archipel espagnol, soit une hausse de 123% par rapport à la même période de l’année dernière. La hausse du nombre d’arrivées provoque une saturation du système d’accueil. Ces derniers mois, le gouvernement des Canaries ne cesse d’alerter sur la situation dans les îles et réclament plus d’aide de l’État dans la prise en charge des migrants, notamment mineurs.

Malgré tout, les jeunes de Mbour sont appâtés, et un jour, ils décident de rejoindre leurs amis en Europe. Et puis ils se disent aussi : il y a plus de personnes qui ont réussi à aller en Espagne que de gens qui sont morts, alors pourquoi pas moi ?

Il faut trouver des solutions pour mettre un terme à cet exode. J’exhorte les pays européens à délivrer des visas aux jeunes Africains. Il faut leur donner leur chance. Aujourd’hui, c’est très difficile, voire impossible, de migrer de manière régulière. Les jeunes n’obtiennent jamais de visas, alors ils prennent tous les risques dans l’Atlantique.

 

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