Abandon du journalisme par des femmes à Butembo : la sous-rémunération y est pour beaucoup

A  Butembo, dans la partie Est de la RDC, le métier de journaliste a, au cours des années 2020 et 2021, connu plusieurs abandons dans le camp des femmes journalistes. Plusieurs raisons sont à la base de ce phénomène de déféminisation des salles de rédactions, avec des conséquences notamment sur la dimension genre. La sous-rémunération des personnels journalistes, conséquence de la calamiteuse situation économique de la plupart d’entreprises de presse, est sur la liste des causes majeures de ces abandons en cascade. Il y a des femmes journalistes et autres membres de la communauté qui perçoivent ce métier comme un passe-temps dépensier plutôt qu’une profession rentable et offrant plusieurs opportunités.

Le rapport du réseau des journalistes d’investigation autour des agressions contre les femmes journalistes (REJIAFJ) pour l’année 2021 compte les journalistes de Butembo à plus de 250. Ils sont répartis dans une cinquantaine des médias. Parmi eux, seulement une quarantaine est constituée des femmes, ce qui représente près de 18%. Entretemps, dans l’espace allant de 2020 à 2021, plus de 20 femmes journalistes ont abandonné le métier, chacune pour une raison ou une autre. Certaines ont changé de profession, d’autres ont abandonné après leur engagement conjugal, d’autres encore ont tout simplement déserté le métier et opter pour le chômage.

Plusieurs radios de la ville de Butembo traversent une situation économique calamiteuse. Pas de budgétisation des activités, pas de plan opérationnel, pas de matériels de locomotion et autres nécessaires pour le bon fonctionnement de l’entreprise. Il y en a même des radios qui se complaisent par leur capacité de se procurer l’électricité et la prise en charge des ressources humaines constitue la cadette des préoccupations des managers n’ayant pas assez d’entrées. Il existe cependant quelques entreprises qui font beaucoup d’entrées et qui priorisent aussi la santé financière de leurs agents. Cependant, elles sont à compter au bout des doigts.

Pour les entreprises médiatiques sans assez de moyens financiers, la rémunération pose problème.

Philippe Makomera, Directeur des programmes à la Radio Moto Butembo-Beni analyse qu’il y a des femmes qui désertent et qui préfèrent quitter le métier par ce qu’elles ont trouvées mieux ailleurs.

« …si elle trouve par exemple une opportunité dans une autre entreprise, elle s’en va directement vu les conditions dans lesquelles elle travaillait dans la radio. C’est qui est vraie est que le contexte économique dans lequel les medias fonctionnent ne permet pas à certaines femmes d’exercer longtemps comme journaliste. Et quand elles décident de cesser d’être journalistes, à ce moment-là, c’est aussi leur droit. On ne peut pas leur en vouloir car tout citoyen est libre de se choisir un travail qui lui convient. Je pense que c’est parmi les lois fondamentales… », explique-t-il.

Cet avis est partagé par Kavira Savali Laetitia, Directrice des informations à la Radiotélévision nationale congolaise, RTNC-Sous station de Butembo, et enseignante en journalisme. Elle est aussi persuadée que les contraintes économiques y sont pour beaucoup.

« On dit que le métier de journalisme ne paie pas bien, du coup des femmes, voire des hommes qui ne se sentent pas bien rémunérés préfèrent aller là où ça offre mieux…» s’inquiète-t-elle

Patricia (nom d’emprunt) travaillait aussi dans une radio à Butembo. Elle révèle que c’est son mari qui lui a exigé d’abandonner le métier.

« Mon mari m’a demandé de cesser de travailler, car il dépense pour mes transports quotidiens et à la fin du mois, je n’apporte rien en termes d’argent. Il m’a montré que comme mon travail ne contribue pas à la survie du foyer, je devais simplement arrêter », témoigne-t-elle.

D’autres analystes pensent même que des femmes n’arrivent pas à s’adapter parce qu’elles se marient aux hommes qui ne sont pas du domaine et donc qui ne comprennent pas certaines réalité du métier.

« Il y a des maris comme le mien qui ne comprennent pas comment le métier fonctionne dans le contexte de Butembo. Il y a des avantages qui ne sont pas forcément financiers. Il y a des opportunités et connexions que nous obtenons seulement parce que nous sommes des journalistes. Mais, c’est difficile de convaincre son mari que cela est positif pour nous tous et pour notre évolution », se lamente, sous anonymat, une autre femme journaliste de Butembo.

Difficile gestion du temps 

En fin décembre 2021, Monica (prénom d’emprunt) a démissionné de son poste de journaliste dans une radio locale. Pourtant célibataire, elle avance que ce sont les exigences de son poste d’attache qui l’ont poussée à abandonner.

« Je suis une fille et ici chez nous, ce sont les filles qui s’occupent toujours de tâches ménagères. Alors, si je dois me lever à 5 heures pour me rendre à la radio afin de présenter le journal matinal et revenir à 21 heures parce que je dois présenter le journal vespéral, cela n’arrange pas ma famille. Mais aussi, je crains pour ma sécurité dès lors qu’il n’y a aucune mesure pour me garantir la sécurité pendant ces heures tardives…la grille de présentation de journaux ne prenait pas en compte ces aspects, malgré mes nombreux recours et sollicitations auprès de ma hiérarchie…», tente d’expliquer Monica.

Elle compte se trouver un nouvel emploi qui lui permettra de travailler en toute sécurité et dans un environnement de paix avec sa famille.

Entretemps, Kavira Savali Laetitia, analyse qu’il est difficile pour la plupart de femmes journalistes de tenir face aux exigences du métier.

« C’est un métier trop exigent par rapport aux autres. Exigent car pour l’exercer, on est journaliste 24 heures sur 24. Il n’y a donc pas de repos. Il ya des reportages qu’il faut qu’ont fassent,  même s’il est difficile de les réaliser, il faut absolument les faires, sans tenir compte de son statut de femme. Et certaines femmes ne s’accommodent pas à cette manière  de travailler des journalistes, car elles estiment que c’est un job qui convient bien aux hommes… », commente-t-elle.

Aux exigences du métier s’ajoute le statut marital

L’on ne peut, par ailleurs, ignorer le fait que le nouveau statut des femmes journalistes des leurs engagement conjugal leur confère de nouvelles charges familiales qui s’ajoutent à leurs charges quotidiennes de journaliste.

Pour Jonas Kiriko, Rédacteur en chef de la Moto Télévision émettant à Butembo, lorsqu’une femme vient de s’engager pour la vie conjugale, elle est toujours soumise à des nouvelles exigences auxquelles se conformer pour afin de prendre soin de son foyer. Et dans les cas où ces exigences ne corroborent pas, c’est là que certaines femmes peuvent s’obliger d’abandonner.

Dans l’entretemps, certaines femmes s’en sortent. C’est le cas d’Eugénie Musivirwa de Moto TV. Elle travaille comme journaliste-reporter depuis bientôt deux ans.  Elle est en même temps mère d’une famille.

« Il est vrai que ce n’est pas du tout facile de concilier les deux car le foyer, c’est une charge pour une femme et le travail à lui seul c’est une autre charge. Pour concilier les deux, il faut vraiment une bonne gestion du temps …», raconte-t-elle.

Elle reconnaît, par ailleurs, que le mari peut lui-même poser problème.

« Une femme peut être déterminée à travailler mais son époux ne l’y autorise pas pour ses raisons personnelles», nuance-t-elle.

Mme Laetitia SAVALI pense qu’il suffit de savoir comment gérer son temps, satisfaire de deux cotés et se comporter désormais en tant que femme journaliste et femme mariée à la fois.

Quoi qu’il en soit, si le métier paie bien, les femmes journalistes mariées peuvent prendre en charge un agent qui puisse suppléer dans la réalisation des tâches ménagères.

Jérémie Kyaswekera et 

Elisha Kindy

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