Lakurawa : Maillon oublié de l’arc djihadiste ouest-africain

TkPnR-arc-ouest-africain-1-1170x928-1-1020x600 (1)

La zone des trois frontières situées au nord-est du Bénin à proximité de Dosso (sud-ouest du Niger) et Kebbi (au nord-ouest du Nigéria) est confrontée à une conflictualité de type nouveau. De groupe d’autodéfense à groupe extrémiste, Lakurawa s’est progressivement mué en une menace extrémiste réelle pour cette région. Une menace de plus dans une région  déjà sous le diktat du Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM), de l’Etat islamique à travers sa branche Islamic State – Sahel Province (ISSP) et autres bandits armés. Face au risque de voir émerger un arc djihadiste ouest-africain, l’impératif d’une coopération engageante entre les trois États concernés s’impose.  

Par Arnauld KASSOUIN

Le 8 novembre 2024, l’État de Birnin-Kebbi, au nord-ouest du Nigeria, subit un assaut sanglant. Bilan : 17 morts malgré la résistance des civils qui ont réussi finalement à repousser les assaillants. Cet évènement funeste survenait après que des individus ont tenté de voler plus de 100 vaches à un berger local. Mais c’est moins la tragédie elle-même qui fit grand bruit, plutôt l’identité des agresseurs.

Le lendemain de l’événement fatidique qualifié d’acte « terroriste », par exemple, le statut et l’histoire du groupe présumé avoir perpétré l’attentat ont fait la une des journaux. Dans les médias nationaux, régionaux et internationaux, le sujet a été couvert sous différents angles. Rfi, Reuters, Dw… En réalité, l’attaque du 8 novembre n’a été que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Car bien avant cette date, le groupe à l’origine de l’attaque, appelé « Lakurawa », ou « recrues » en haoussa (Barnett, Rufa’i et Abdulaziz, 2022) semait déjà la panique dans les régions du nord-ouest du Nigeria (États de Sokoto et de Kebbi). C’est ce qui a motivé à titre d’illustration, trois jours avant le drame de Mera, le vice-gouverneur de l’État de Sokoto, Idris Muhammad Gobir, à alerter, lors d’une conférence, sur la létalité dudit groupe. « Notre évaluation indique que le groupe possède des armes sophistiquées et développe des activités criminelles », prévenait-il.

Le groupe, avait-il ajouté, est présent à Tangaza, Gudu, Ilela, Silame et Binji. Les commentaires du gouverneur révèlent que les autorités étaient bien au courant de l’existence et des activités du groupe. D’ailleurs, une déclaration de la branche de l’État de Kebbi de l’Association des éleveurs de bétail  »Miyetti Allah du Nigeria » (MACBAN) confirmera ce point de vue. Puisque, Lakurawa sera accusé d’être un groupe criminel, selon le secrétaire de MACBAN, Abubakar Lamido, dans une déclaration rendue publique après l’attaque du 8 novembre. « Les Lakurawa sont des criminels endurcis et doivent être traités comme tels. (…) Nous sommes les plus touchés par leurs activités illégales », explicite Abubakar Lamido.

L’écho des commencements

Né dans l’ombre, Lakurawa échappe encore aux radars sur les circonstances exactes de son origine. Quand même, il n’est pas « nouveau comme certains voudraient le faire croire, car il existe depuis 2018 ou même avant, (Adebayo O. Afolaranmi, 2024) ».

Le groupe a été initialement formé « en République du Niger en 1997 » expose Zagazola Makama, expert en lutte contre l’insurrection dans la région du Lac Tchad. Bien qu’aucune des personnes ressources consultées dans le cadre de ce travail n’ait pu démontrer la véracité de cet argumentaire, il se peut que Zagazola Makama dise vrai.

Parce que Murtala Ahmed Rufa’i, professeur agrégé d’études sur la paix et les conflits situe, lui, les activités du groupe dans le sud du Niger, frontalier à Sokoto en 1999, (in « Traditional Authority and Security in Contemporary Nigeria », p. 165). Mieux, suite à des polémiques d’invasion présumée de groupes de bandits, fin 2018 au nord-ouest du Nigéria, l’agent des relations publiques de la police (Police Public Relation Officer- PPRO), Murtala Usman Mani, a affirmé que Lakurawa réside en République du Niger.  « On pense raisonnablement que les bergers sont des Maliens et résident dans une forêt de la République du Niger, partageant une frontière avec le gouvernement local de Gudu et Tangaza de l’Etat de Sokoto », déclare le PPRO lors d’une conférence de presse à Sokoto, le samedi 1er décembre 2018. Ces déclarations confirment non seulement la présence de Lakurawa dans les marges frontalières du nord-ouest du Nigéria mais aussi du caractère ancien du groupe dans la partie du sud-ouest du Niger.

Comme annoncé par le PPRO, Lakurawa est constitué de bergers. Cependant, il ne compte dans ses rangs, pas que des bergers ou des Nigériens. Il serait aussi composé de Maliens. John Sunday Ojo, chercheur à l’institut de sécurité et des affaires mondiales de l’Université de Leyde, théorise justement que « les membres du groupe sont venus du Mali pour s’installer dans les communautés transfrontalières (du Nigéria). Ils ont épousé des femmes locales et recruté des jeunes de ces communautés pour des activités djihadistes ».

En effet, la présence à cheval du groupe entre le Niger et le Nigéria a favorisé son ancrage local dans le fuseau ouest des deux pays. Néanmoins, l’hostilité que fait montre aujourd’hui le groupe n’est pas née du jour au lendemain. Car, au départ, entre 2016-2017, le groupe a officié avec le consentement des voix officielles comme groupe d’autodéfense dans les districts des gouvernements locaux de Gudu et de Tangaza (régions du nord-ouest du Nigéria frontalières du Niger).

Il l’a fait à la demande du « chef du district de Balle et de Gonzono avec le soutien de Alhaji Bello Wamakko alors président du MACBAN, (John Sunday, Ezanwa E. Olumba, 2024) ». Quant à sa reconversion en un mouvement extrémiste, elle n’a pas pris trois tours d’horloge solaire pour se concrétiser. D’ailleurs, ce sont ses activités criminelles et ses conduites radicales qui ont amené les communautés à se soulever contre sa présence dans le gouvernement local de Tangaza dans l’Etat de Sokoto fin octobre 2018.

Au lendemain de ce soulèvement, Murtala Usman Mani, PPRO avait organisé une conférence de presse à Sokoto le 1er décembre 2018.

A la base, Lakurawa s’est donné pour mission « d’offrir et de fournir une protection à la population locale dans les zones situées à l’intérieur du bastion des zones sous son influence ou son contrôle ». Mais il s’est reconstitué en bourreau lorsqu’il a commencé par exiger une taxation forcée auprès des éleveurs. Abubakar Lamido, secrétaire du MACBAN, rapporte que Lakurawa « terrorisait les éleveurs par le biais d’une taxation forcée appelée  »zakat » (aumône religieusement obligatoire) et confisquent parfois leurs animaux et collectait de l’argent allant de 300 000 à ₦ 20 millions, 120 vaches, 51 chèvres et moutons auprès d’éleveurs de bétail dans la région d’Augie de l’Etat ». Il est à relever que le groupe fait du recel de vaches, de chèvres et de moutons auprès de bergers. Bien sûr, ce n’est pas le seul facteur ayant conduit à une offensive nigériane contre lui en 2018.

En réalité, c’est plus sa ligne idéologique radicale (leur prêche de l’islam) qui fera naître de défections à leur encontre. Puisqu’avec le temps, ils se sont engagés dans une campagne agressive de l’application de la charia dans les villages locaux. Ils « prêchaient sur les places publiques, intimidaient les religieux et fouettaient les villageois qui jouaient de la musique ou dansaient », tout en « suivant les campements peuls informels et nomades (ruga), forçant les éleveurs à payer des taxes sur leur bétail sous couvert de zakat et les réprimandant pour des activités « non islamiques ( James Barnett &Vincent Foucher, 2025) ». Cette campagne a conduit à leur expulsion de Sokoto. Toutefois, des sources signalent que le groupe n’a pas totalement disparu puisqu’il a maintenu sa présence le long de la frontière nigérienne, dans la région de Tahoua.

En plus de la campagne agressive, « cette milice, dit Seidik Abba, président du Centre internationale de réflexions et d’étude sur le Sahel (Cires), s’est également mise à prendre des otages contre des rançons. C’est ce qui lui a permis d’accumuler un trésor de guerre. À partir de là, l’autre évolution qu’a connue le groupe, c’est que des djihadistes sont venus du nord du Mali pour l’infiltrer », récapitule ce dernier, interviewé le 30 juin 2025.   

Lakurawa, l’ombre aux trois frontières (Bénin, Nigéria, Niger)

Les activités criminelles auxquelles se livre le groupe comme le vol de bétail sont favorisées par l’environnement géographique dans lequel il opère. Car, « depuis 2011, la région nord-ouest du Nigéria est confrontée à une prolifération du banditisme armé et est devenue l’épicentre de la violence dans le pays, (Gitoc, juillet 2024) ». Du reste, au sortir du drame de Mera, Lakurawa s’est montré plus intimidant à l’encontre des civils. Ce qui s’est traduit par « des raids de porte à porte » dénonce Labbo Abdullahi, le 18 juillet 2025 sur Hum Angle. À en croire ce dernier, « au moins 27 communautés ont vu leurs troupeaux pillés. Environ 2000 vaches et plus de 1500 autres ruminants ont été volés », le tout en espace de huit mois. D’après déduction, le groupe s’est réduit au vol de bétail comme les groupes de bandits dans la région des trois frontières (Bénin-Niger-Nigéria). Fait étonnant, le groupe s’en prend aussi à des commerçants selon les confidences d’un journaliste travaillant sur les questions de criminalité transfrontalière, joint par téléphone le 25 juin à Gaya dans la région de Dosso (Niger).

Nous le nommerons AF parce que celui-ci a préféré l’anonymat vu sa proximité avec les autorités. Lors de nos échanges sur le mode opératoire de Lakurawa, AF assure « qu’en plus du vol de bétail, il (Lakurawa) attaque les agences de transferts d’argent et les pauvres civils ». Un autre point très intéressant qu’AF évoquera lors de nos échanges est que le groupe serait présent de manière disparate le long des trois frontières reliant le Bénin, le Niger et le Nigéria.  Les attaques du 2 décembre à Malanville (Bénin) et du 13 décembre 2024 à Gaya dans la région de Dosso signées Lakurawa renforcent les analyses de AF.

Au-delà des activités de Lakurawa, qui a l’air de trouver un terreau fertile à travers les attaques sus-énnumérées dans la région des trois frontières (Malanville, Kebbi et Dosso), il faut noter que la région dont il est question est une zone de transit pour les acteurs criminels. Dans ce sens, Abiodun Jumia, journaliste nigérian travaillant sur les conflits et les crises humanitaires dans le nord-ouest du Nigéria soutient que ladite zone « est une véritable bombe à retardement ». Il nous a fait cette confidence dans l’après-midi du lundi 30 décembre 2024, dans le cadre d’un entretien sur Lakurawa et les vulnérabilités que présente la zone des trois frontières.

Des rapports de données certifiés par les autorités militaires de la région de Gaya (Niger) sur les trois dernières années que nous avons consultées abondent dans la même logique. La région est très prisée par des acteurs de la criminalité organisée. Bien que l’économie de la drogue ne concerne pas directement le groupe Lakurawa au niveau des trois frontières, elle constitue une source ou un circuit de revenus potentiels.

En effet, Gaya est située à 150 km au sud du département de Dosso, à 7 km de Malanville (Bénin) et à 32 km de Kamba (Nigéria). De juin 2024 à juin 2025, par exemple, 193 personnes ont été arrêtées pour des faits de trafic de drogue par les Forces de défense et de sécurité (FDS) du Niger.

Au total, 292 briques de cannabis et 47 boules de cannabis soit un total de 301 kg ont été saisis et scellés par les autorités nigériennes selon le rapport sur les produits scellés. Douze paquets de cigarettes de marque Yes ont été également saisis dans la même région. Tous les produits saisis auraient une valeur de 333 300 945 francs CFA selon les documents consultés (voir photos). Bien que ne disposant pas de preuve confirmant la participation de Lakurawa dans l’acheminement direct de produits psychotropes, il faut dire que le contrôle de ce secteur au niveau des trois frontières pourrait les intéresser.

                                                                                   

En plus, quoique moins détaillées, des liaisons dangereuses existent entre les extrémistes et les groupes de bandits au niveau de la frontière entre Kebbi et l’Alibori (Bénin), (Kars de Bruijne & Clara Gehrling, 2024). Cette ambivalence soulignée par Kars de Bruijne & Clara Gehrling, démontre à plus d’un titre, la difficile catégorisation de Lakurawa parce qu’opérant dans la même surface. Tantôt, le groupe agit comme groupe criminel de par ses pillages, tantôt, il promeut des idéaux extrémistes en « prêchant l’islam et diffusant le système juridique de la charia, (Murtala Ahmed Rufa’i, 2023) ». En plus, il est présent dans une aire géographique qui présente une forme de coexistence entre groupes de bandits et extrémistes.


Alors, si Lakurawa n’excelle pas que dans le banditisme, à quel groupe extrémiste serait-il affilié parmi les nombreux groupes qui sont présents à cheval entre le centre-nord et le nord-est du Nigéria ?  Interrogé mais avec une fixation sur le JNIM le 27 février 2025, Idris Mohammed, universitaire et expert des questions de paix et de sécurité nous a indiqué cinq mois plus tard, soit le 28 juillet, que rien n’est clair pour le moment.


Pour lui, il s’agit simplement de dire qu’il y a de plus en plus d’indications que des groupes extrémistes tels que « Jama’a Nusrat al-islam wal-muslimin (JNIM) et l’État islamique tentent d’étendre leurs empreintes idéologiques et opérationnelles dans le nord-ouest du Nigéria. Et ce, en particulier sur le large des États de Sokoto, Zamfara et Kebbi, qui partagent des frontières poreuses avec le Niger et la République du Bénin ».

Pièce noire dans le brouillard djihadiste 

L’intensification des opérations militaires de l’armée nigériane à la suite du drame de Mera a réduit les champs d’action des groupes armés opérant dans le nord-ouest du Nigéria. Ce qui rend encore difficile la démarcation entre les bandits armés et les groupes extrémistes dans cette sphère géographique. Alors, qu’il s’agisse du JNIM ou de l’Etat islamique, « la différence entre ces deux groupes se situe au niveau du démarquage territorial de chacun », objecte Lacina Sanogo, spécialiste en gouvernance, rencontré à Bamako le 30 mai 2025, précisément à AC 2000. La position de ce dernier met en lumière le rôle combien important que joue la territorialité dans la cartographie d’un groupe armé non étatique. Lors de nos échanges, le spécialiste démêle que « le JNIM et l’Etat islamique sont distincts dans la forme mais pas dans le fond ». Dans une interview qu’il nous a accordée plus tard par téléphone le jeudi 24 juillet, en complément à nos discussions sur le JNIM et l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest, il déclare que le groupe présent dans le sud-ouest du Niger serait l’Etat islamique. « Il y est depuis des années », confie notre interlocuteur. A vrai dire, le large de la frontière nord nigériane, que cela soit du fuseau nord-est et du centre, est considéré comme une zone d’activité de l’Etat islamique. Ce qui facilite la mobilité du groupe vers les pays comme le Tchad et les pays du Sahel central.  En s’appuyant sur cette analyse et sur l’assertion de Chris Dayton, analyste du terrorisme mondial, selon laquelle « l’émergence de Lakurawa est liée à l’expansion de l’Etat islamique » (in  »Etat islamique, pas Lakurawa »), on pourrait largement confirmer avec certitude que Lakurawa est affilié à l’Etat islamique à travers sa branche Islamic State-Sahel province (ISSP). D’une part à cause du couloir de transit que servent le nord-ouest du Nigéria de Borno et Sokoto vers Konni, Sanam et Abala. D’autre part, le rapport S/2025/482 du conseil de sécurité des Nations unies concorde avec cette hypothèse.

Cependant, il reste difficile de prouver l’affiliation de Lakurawa à l’ISSP, à plus forte raison que la zone d’activité du groupe se situe au niveau de l’intersection reliant le Bénin, le Niger et le Nigéria. Ed Stoddard, expert d’ISWAP et ISSP souscrit à cet argumentaire. En dehors de l’ambiguïté soulignée, il dit observer « une forme de partage de l’espace : avec une prédominance de l’ISSP côté nigérien de la frontière, et une plus grande influence du JNIM côté béninois ».

En vérité, au Bénin, le JNIM est reconnu comme la seule entité extrémiste à laquelle fait face le gouvernement, selon la note de service n°24-1923/EMG/CIDE/SA du 13 juin 2024. Mais, il faut aussi souligner que le JNIM n’est pas que présent du côté béninois au niveau de la zone objet d’étude. Puisque l’attaque du 29 mai, côté Dosso près du pipeline export Niger-Bénin prouve que le JNIM a de l’influence dans la zone des trois frontières. Celle du 12 juin 2025 à Basso (département du Borgou frontalier de Kebbi) revendiquée par le JNIM, illustre l’ancrage du JNIM dans la région. Le floue qui subsiste dans l’affiliation du groupe Lakurawa à l’un des deux groupes principaux djihadistes (JNIM-Ei-S) réside dans son mode opératoire et dans son histoire. D’abord, « la situation est compliquée par la perception d’un lien entre Lakurawa et l’ISSP.

Puisque ce dernier n’est pas particulièrement connu pour son rôle de protection des communautés, du moins jusqu’à maintenant », confronte l’expert de l’ISWAP et l’ISSP, Ed Stoddard. Ensuite, on constate que le groupe utilise des tactiques qui sont bien propres aux deux entités.

Au-delà d’une présupposée affiliation de Lakurawa au JNIM et à l’ISSP, Ed craint même que si cela s’avérait, le groupe chercherait à s’ancrer davantage à l’intérieur des pays concernés et non plus seulement au niveau des frontières. Les entretiens réalisés et croisés sous un prisme géospatiale nous renvoient au JNIM comme ayant le plus de présence dans la région des trois frontières.

Donc Lakurawa pourrait vraisemblablement avoir de lien aussi bien avec le JNIN qu’avec l’Etat islamique à travers sa branche ISSP. Il nous a été rapporté lors de cette enquête que le JNIM est le principal groupe opérant le long des trois frontières (Bénin-Nigéria-Niger) à l’image de tous les autres triples frontières situées dans la frange septentrionale des pays côtiers. Il s’agit en effet des triples frontières Burkina-Bénin-Niger, Bénin-Togo-Burkina, Togo-Burkina-Ghana et Côte d’Ivoire-Burkina-Ghana. Toutefois, comme nous l’a annoncé Ed Stoddard, par email le 26 juillet, « il est difficile de distinguer clairement » le groupe auquel Lakurawa est affilié.

La difficulté de démarquer l’appartenance de Lakurawa est symptomatique du danger que le groupe représente si rien n’est fait en urgence pour le contrer efficacement. À l’état actuel des choses, la situation sécuritaire présage d’une désescalade dans la région des trois frontières et même au-delà. Dans cet ordre d’idée, Seidik Abba avance « qu’il y a un risque avec l’implantation de Lakurawa d’avoir un continuum terroriste qui part du nord Mali, et passerait par le Burkina, puis par la région du parc W jusque dans la région de Dosso pour s’établir dans la bande du Bassin du Lac Tchad ».

Continuum terroriste 

Plusieurs éléments avancés plus hauts convergent vers l’affiliation du groupe Lakurawa au JNIM plutôt qu’à l’Etat islamique dans la région. Mais rien n’est plus précis parce qu’il arrive également que les deux (JNIM-Etat islamique) groupes collaborent. Encore que ces derniers ont parfois « les mêmes bassins de recrutement » selon Wassim Nasr, journaliste spécialiste des mouvements djihadistes au Moyen orient et en Afrique.

D’ailleurs, il résulte de ces analyses que les deux groupes peuvent s’associer par moment pour atteindre un but commun. « Il existe déjà des arrangements tactiques entre les deux groupes (JNIM-Etat islamique), chacun tolérant la présence de l’autre dans certaines zones », rappelle à Ulf Leassing, directeur programme régional Sahel de la Fondation Konrad Adenauer, pris en interview le 29 juillet.

Au surplus, le continuum terroriste décrit par Seidik Abba plus haut, ne se limite pas qu’au cadre géographique des trois frontières. La présence de Lakurawa dans la zone reliant le Bénin, le Nigéria et le Niger entraîne l’émergence d’un corridor frontalier exposé aux attaques terroristes, reliant les frontières septentrionales des pays côtiers au sud des États sahéliens. Laisser Lakurawa prendre ancrage dans la région Bénin, Niger et Nigéria pourrait être encore plus déstabilisant pour les pays frontaliers vu la traversée du pipeline export Niger-Bénin.

 

En plus, la région a déjà enregistré plusieurs tentatives de sabotage du pipeline depuis sa mise en service le 17 mai 2024 au niveau de Tahoua, à Dosso et aussi du côté de Malanville. Toujours dans le même sens, une source locale vivant à Madecali (nord-est du Bénin) rencontrée sur place en juin 2025 au lendemain de l’attaque de Basso, qui a requis l’anonymat par crainte de représailles des  »gens de la brousse » (appellation locale des groupes armés terroristes), indique que « les actions du groupe Lakurawa restent sporadiques dans la région des trois frontières ».

Le passage de l’oléoduc à proximité des trois frontières est aussi révélateur d’insécurité. Comme l’illustre le cas des violences qui ont court dans le delta du Niger au Nigéria, Estelle Djanato, experte en genre et paix du Réseau africain pour le maintien de la paix (Ramp) trouve que « le pipeline Niger-Bénin ou que ce soit celui d’une autre région d’Afrique de l’Ouest, est un potentiel ferment pour l’expansion économique des groupes terroristes ». Lors de notre entretien à l’Université d’Abomey-Calavi le 22 décembre 2024, elle insiste que « Lakurawa doit être pris au sérieux surtout à cause de sa zone d’influence.

Nonobstant l’intérêt que peut susciter le pipeline et vu que le groupe ne dispose pas de base fixe, il serait difficile pour lui de tirer des avantages de son sabotage. Tel est l’avis de plusieurs autres experts consultés sur la réelle menace que pourrait engendrer la présence du pipeline export Niger-Bénin. Lakurawa est en quête de « publicité », assène Seidik Abba, parce que moins connu que d’autres dans la région. « L’oléoduc a une valeur symbolique : en l’attaquant, le groupe inflige un camouflet au gouvernement nigérien et affaiblit son autorité – ce qui s’inscrit pleinement dans la logique de ces groupes armés », renchérit Ed Stoddard. Toutefois, pour des locaux, côté Nigéria, Lakurawa est déjà impliqué dans la vente du pétrole. Autrement dit, il y tire déjà profit.

Sur le long terme, et pour éviter des sabotages de façon répétée les autorités nigérienne, nigériane et béninoise doivent s’accorder afin d’éviter que la rente du pipeline soit source de financement pour les groupes armés non étatiques dans la zone, à titre prospectif et préventif.

Défi du continuum djihadiste entre le Sahel et le lac Tchad

La particularité de la jonction reliant le Bénin, le Niger et le Nigéria réside dans la mobilité facile qu’elle offre de se trouver dans l’un des pays cités aisément. La zone des trois frontières permet aussi de joindre le reste des pays de l’Afrique de l’Ouest via le fleuve du Niger en traversant le parc W et la Pendjari à cause de la porosité des frontières. Il en est de même en ce qui concerne les pays de l’Afrique centrale par le truchement du bassin du lac Tchad comme décrit plus haut.  Avec la présence de Lakurawa dans cette zone, un nouvel arc djihadiste pourrait émerger. Parce que la zone, bien qu’elle soit connue pour être un bastion de groupes criminels organisés, est de part et d’autre, cernée par des groupes extrémistes violents (JNIM et l’Etat islamique à travers ISSP).

De plus, « les offensives militaires » actuelles au Sahel central contre certains groupes » pourraient amener d’autres à élire domicile dans les proximités de la zone des trois frontières, alerte Abiodun Jumia.

Pour éviter une transportabilité de la menace, les pays de la sous-région gagneraient à fédérer leurs efforts sur le plan humanitaire et social. Par exemple, l’état de choses décrit par le journaliste nigérian, s’il venait à se réaliser, va perturber davantage le trafic routier dans la frange septentrionale des pays côtiers et des pays sahéliens. Comme c’est le cas actuellement dans le sud-ouest du Mali. En réalité, « les jihadistes peuvent nuire à la fois aux économies des pays côtiers et sahéliens en même temps », prévient Ulf Leassing.

En plus de créer un terreau fertile pour le développement des activités de contrebande d’armes et de produits illicites dû à sa présence, Sani Saidu Muhammad, journaliste, nigérian spécialisé dans les économies illicites et les questions humanitaires pense que sur le long terme, la « présence [de Lakurawa, ndlr] pourrait mettre à rude épreuve les alliances régionales comme la Cedeao ». Ceci parce que les « pays donneraient plus de priorité aux crises nationales plutôt qu’aux efforts de sécurité concertés ».

Il est important pour les trois pays de renforcer la coopération sécuritaire, militaire et socio-économique dans la région. En absence de collaboration entre les trois pays (Bénin-Niger-Nigéria) dans le contexte actuel, « il est sans doute probable » que la zone soit « un pain béni pour l’ensemble des trafiquants », avertit Seidik Abba.

Ils (Lakurawa et ses alliés) auront la possibilité de dérouler leur business à partir de là en direction de n’importe quel pays. Lakurawa prospère à proximité de la région des trois frontières à cause du vide sécuritaire observé dans la région.  A ce propos, Bakary Sambe, analyse « qu’il y a l’État qui est absent et l’État qui est présent. C’est-à-dire que l’État répressif est très présent, alors que l’État protecteur est moins présent ».

Pour ce dernier, il faudrait s’assurer de gagner la bataille du sentiment d’appartenance nationale de toutes les communautés, y compris des communautés transfrontalières. Ajouter à ça, il faudra lancer une politique régionale (Bénin, Niger et Nigéria) de ‘‘resocialisation’’ des jeunes présents dans cette sphère géographique.

Face à cette menace grandissante, une coopération renforcée entre le Bénin, le Niger et le Nigéria est impérative. Parce que la stabilité des pays ouest-africains dépendent de ces trois pays vue leurs positions géographiques. Ces pays (trois pays) doivent mutualiser leurs efforts de sécurité, partager des renseignements et développer des projets conjoints de développement pour réduire la porosité des frontières et limiter l’influence des groupes armés, comme le recommande l’ISS. Les initiatives locales, notamment celles impliquant les jeunes et les leaders communautaires, doivent être encouragées pour renforcer la cohésion sociale et tarir les sources potentielles de recrutement terroriste, insiste l’Institut.

Lakurawa illustre la complexité des conflits sécuritaires ouest-africains où criminalité, radicalisme et enjeux territoriaux se mêlent. Lakurawa offre dans ce cas de figure de matière à étudier. La zone des trois frontières est à un carrefour stratégique pouvant devenir un nouvel épicentre djihadiste si des mesures concertées, fiables et durables ne sont pas prises rapidement.

Pour combattre le phénomène, Mohamed Lamine Ouattara, enseignant-chercheur malien, expert des relations internationales interviewé sur les solutions à mettre en œuvre pour éviter l’effet du Spill over du terrorisme vers les Etats côtiers dans la capitale du Togo le 20 avril, appelle à « une mutualisation des efforts pour des coopérations stratégiques, coordonnées et intégrées entre tous les Etats de la région dans tous les domaines ».

À l’effort régional, des jeunes de la commune de Malanville approchés, nous instruisent sur la nécessité de mettre en place et de soutenir des initiatives citoyennes. Ils proposent entre-autres l’organisation périodique d’échanges entre les jeunes de différentes communautés pour renforcer les rapports de vivre ensemble.

Pour Grace Aboki, leader communautaire et membre de U-report, « il y a lieu d’introduire également l’éducation à la paix dans les programmes scolaires de toutes les régions à proximité de Malanville ». Bien que nos interviewés n’aient fait un parallélisme entre résolution des conflits et médias, on remarque qu’il y a lieu d’insister également sur la promotion d’une information de qualité objective et respectueuse. Parce que dans le cadre de la présente enquête, peu de nos sources avaient une connaissance précise sur Lakurawa.


« Cet article a été élaboré grâce à un programme de mentorat avec la Global Transnational Organized Crime Initiative (GI-TOC) et La Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO), dans le cadre du projet « Soutien à l’atténuation des effets déstabilisateurs de la criminalité transnationale organisée (M-TOC) ».


 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *