Une ancienne vidéo du ministre ivoirien de l’Enseignement supérieur manipulée pour accréditer un financement de “gros bras”

Adama Diawara

FAIT : Une vidéo diffusée sur une page Facebook dénommée Tatiana Ali montre le ministre de l’Enseignement supérieur, Adama Diawara, entouré d’un groupe de personnes et semblant distribuer de l’argent. La légende qui l’accompagne affirme qu’il aurait rencontré, le lundi 18 août 2025, le « Rassemblement des Ziguéhis RHDP» (Zighéhis comprenez gros bras) à Williamsville. Dans la même séquence, apparaît également une capture censée provenir de la page Facebook officielle du ministre, annonçant le compte rendu d’une rencontre avec des loubards.

 

VERDICT : La vidéo est sortie de son contexte. Elle ne montre pas le ministre Adama Diawara distribuant de l’argent à des « Ziguéhis »: mais correspond en réalité à une ancienne contribution financière accordée à la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) pour la construction de son siège.

TEXTE

Le 18 octobre 2025, l’internaute nommée Tatiana Ali, suivie par plus de 250 mille abonnés, a diffusé une vidéo qui a cumulé plus de 38 mille vues et 164 commentaires. La séquence montre le ministre de l’Enseignement supérieur, Adama Diawara, entouré d’un groupe de personnes et semblant distribuer de l’argent. Selon la légende, il aurait félicité ces individus de n’avoir pas participé aux violences universitaires. Il les aurait exhortés à maintenir la tranquillité sur les campus, à soutenir les candidats du RHDP aux élections de 2025 et leur aurait offert un appui financier.

 

Source : Capture d’écran de la vidéo

À première vue, la vidéo peut donner l’impression d’un soutien financier direct. On observe en effet le ministre au centre, face à une foule attentive, certains participants tendant la main. La séquence est montée de façon à renforcer l’idée d’un don d’argent en échange d’un soutien politique.

Pour mieux comprendre cette séquence, il est important de rappeler l’historique de la FESCI (Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire). Créée en 1990, cette organisation estudiantine a longtemps été l’acteur principal de la représentation des étudiants ivoiriens. Mais elle a rapidement acquis une réputation de mouvement contestataire marqué par des grèves, des affrontements et des violences sur les campus.

Durant les années 2000, la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) a été associée à des pratiques d’intimidation et parfois de racket, ce qui lui a fait perdre progressivement sa légitimité auprès d’une partie de la communauté universitaire. L’organisation Human Rights Watch, dans un rapport publié en mai 2008, avait d’ailleurs dénoncé ces dérives, en mettant en lumière les méthodes coercitives employées par certains membres du syndicat étudiant.

Source : Human Rights Watch (HRW)

Les autorités ont souvent tenté d’instaurer le dialogue ou d’apporter des appuis matériels et financiers, dans l’objectif de pacifier l’espace académique. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer certaines séquences, comme celle montrée dans la vidéo.

Toutefois, depuis quelques années déjà, la FESCI a perdu son influence. Elle s’est progressivement transformée en un mouvement plus fragmenté, nettement moins influent sur le plan politique. Un drame est venu précipiter sa chute : l’assassinat d’un de ses membres, perpétré par un groupe issu de ses propres rangs. Ce meurtre interne a constitué un tournant décisif. C’est à la suite de cet événement tragique que les autorités ivoiriennes ont décidé de suspendre puis de dissoudre l’organisation.

 

 Source : Communiqué du Gouvernement Ivoirien du 2 octobre 2024

Le porte-parole du gouvernement ivoirien, Amadou Coulibaly, avait d’ailleurs pris la parole pour annoncer officiellement la dissolution (à la 36ᵉ seconde) des associations syndicales estudiantines, dont la FESCI.

Avant cette décision, l’État avait multiplié les tentatives de dialogue avec la fédération. 

Enfin, il convient d’évoquer l’appellation « Ziguehi », née en Côte d’Ivoire dans les années 1990.  C’est un mouvement qui regroupe des jeunes surnommés les « gros bras », réputés pour leur force physique et leur aptitude à l’intimidation. Issus en grande partie des quartiers populaires d’Abidjan, ces groupes ont rapidement trouvé une place dans les mouvements syndicaux étudiants, où ils étaient perçus comme un bras armé chargé de défendre les intérêts du collectif. 

Leur influence et leur rôle dans la vie sociale et politique ont été suffisamment marquants pour faire l’objet d’un reportage diffusé le 11 décembre 2016 sur la chaîne YouTube de la Télévision nationale.

 

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